#16 La culpabilit de celle qui part

Si longtemps. Si longtemps avant d’ouvrir mon ordinateur et y dĂ©verser mes billets d’humeur, mes envies, mes refus, mes Non et mes oui.  Vous faire rĂ©agir, vos messages d’encouragement, vos mots doux, vos Ă©nergies tout cela m’a beaucoup manquĂ© Et en mĂȘme temps…Fuck

J’étais ailleurs, dans une autre matrice, Ă  rĂ©flĂ©chir aux sens Ă  donner, aux leçons Ă  apprendre, toujours Ă  rechercher une forme d’absolu. Cette pĂ©riode inĂ©dite de crise sanitaire  oĂč nos angoisses se sont mĂȘlĂ©es aux espoirs, oĂč les cous Ă©taient tendus vers un monde imaginaire, fantasmĂ©,  Ă  la fois si proche, et si lointain , oĂč les oreilles se laissaient porter par un futur prometteur, oĂč les discours prĂŽnaient une rupture, un monde meilleur. Un lendemain qui chante disait Hyppo dans un monde sans pitiĂ©.Vous vous souvenez ? 

Mais je nÂ’Ă©tais que dans le mien de monde. Celui que je me proposais de vivre Ă  l’issue du dĂ©confinement.  Un monde oĂč je reprendrai ma vie en main, avec de nouvelles libertĂ©s, de nouveaux horizons, une nouvelle organisation. Un monde avec un poids en plus aussi, le monde d’une femme qui porte la culpabilitĂ© de celle qui part.

Bienvenue dans ce nouvel épisode de EEMTF 

J’ai chopĂ© le Covid dĂ©but fĂ©vrier, bien avant que l’ennemi soit clairement identifiĂ© en France, que le chef de l’Etat nous dĂ©clare « en guerre » et nous intime l’ordre du retranchement.  Une fatigue immense mÂ’Ă©tait tombĂ©e de dessus Ă  tel point que pour une fois je dĂ©cidais d’aller voir le mĂ©decin pour une prise de sang, guettant un autre ennemi, celui de la femme qui vieillit, de la femme quadra, de la femme qui fume depuis bien trop longtemps. Mes poumons, mes ovaires, mon utĂ©rus, oĂč le crabe avait-il donc dĂ©cidĂ© de se loger ?  RĂ©sultats en demi teinte, interprĂ©tĂ© mollement par mon mĂ©decin. ClouĂ©e au lit, je refaisais le malade imaginaire, en proie Ă  une nouvelle et inconnue hypocondrie.  Ou alors cÂ’Ă©tait juste un gros coup de fatigue, une lassitude d’un quotidien qui sÂ’Ă©tiole, des bras qui ne s’ouvrent plus, un lit qui n’est plus un champ de batailles heureuses et jouissives, un matelas qui reprend les formes distinctes des corps, l’une bien Ă  droite, l’autre bien Ă  gauche. Et au milieu le spectre bien lisse d’une atonie installĂ©e. L’ennui fatigue, la neurasthĂ©nie fatigue. Mon corps a devancĂ© ma tĂȘte, a pris les devants, m’envoyĂ© un message clair et envoyĂ© une sentence sans appel. A priori mes oreilles Ă©taient aux abonnĂ©es absentes. Puis l’agueusie, croquant dans une pĂątisserie orientale, la recrachant presque tant son gout cartonnĂ© et insipide, dĂ©nuĂ© de douceurs sucrĂ©es m’a Ă©coeurĂ©e.  J’avais perdu le goĂ»t, le gout des aliments, et avec le recul, le goĂ»t de la vie lĂ©gĂšre, simple, sans embarras. Manger sans saveur, Ă  la recherche d’une Ă©tincelle gustative : un peu de piment d’espelette, un poivre bien corsĂ© ? Nada.Mon palais Ă©tait anesthĂ©siĂ©, insensible aux saveurs, douces ou mauvaises.

Et mon palais, c’était mon cervelle.

Plus de goĂ»t Ă  rien. Une dĂ©naturation prĂ©monitoire, une longue vue prophĂ©tique.  Et puis, un dimanche, mon cerveau a dĂ©cidĂ© de faire le lien, de comprendre le message, de ne plus ignorer les signaux.  15 jours aprĂšs  la libĂ©ration, j’ai quittĂ© mon compagnon, le pĂšre de ma petite derniĂšre. Et la culpabilitĂ© a dĂ©barquĂ© en trombe, a fait irruption dans ma vie . Je l’attendais je peux vous le dire, coutumiĂšre du fait.  J’ai osĂ© la culpabilité  non comme un Ă©tat permanent, un fardeau Ă  vie mais comme un passage obligĂ©, une Ă©tape Ă  laquelle je ne peux me soustraire. Accepter la souffrance, accepter la culpabilitĂ©, la rendre lĂ©gitime et puis la laisser partir.

Si la douleur est un passage obligé, la souffrance est un choix. 

Oser la rupture est il plus simple pour une femme ?

J’aime Ă  penser que nous femmes sommes rompues Ă  la rupture, qu’elle est une partie de nous, physiologique Nos cycles menstruels, nos Ă©tats de jeune fille, de mĂšre potentielle, puis cette nouvelle gĂ©nĂ©ration de notre fĂ©minitĂ© qu’est la mĂ©nopause nous habituent Ă  aux changements, aux fractures, Ă  une forme de regĂ©nĂ©ration.  On ne s’autorise pas toujours Ă  quitter l’autre . Pourquoi ? Ne pas reproduire un schĂ©ma familial, ou reproduire un schĂ©ma dĂ©jĂ  vĂ©cu.  Devenir aux yeux des autres celle qui rompt, qui lĂąchĂ©, qui abandonne, qui cause du chagrin, c’est accepter d’ĂȘtre jugĂ©e sans qu’on ait pu soumettre ses arguments , sans avoir fait la diatribe du couple dans son intimitĂ©. Et lÂ’Ă©chec d’une relation n’a pas besoin de tribunal public , elle ne se soumet pas au tribunal populaire. 

Penser Ă  la souffrance que l’on inflige Ă  l’autre c’est le lier encore Ă  soi, l’infantiliser , le rendre encore dĂ©pendant , lui soustraire son libre arbitre , c’est le faire rentrer dans la derniĂšre logique du couple, dans son ultime Ă©tape, c’est l’enfermer dans ses propres dĂ©mons, c’est l’empĂȘcher d’avancer et de sortir du dernier carcan. Penser Ă  la souffrance que l’on inflige Ă  l’autre manque aussi d’humilitĂ©. C’est se croire indispensable, c’est que croire irremplacable, c’est se croire vital Ă  l’autre. C’est penser qu’on remplit son espace, c’est admettre que le couple ne fit qu’un et que cette entitĂ© est insoluble . C’est empĂȘcher le renouveau de l’atome. C’est oublier que si on en est arrivĂ©e lĂ , c’est que dĂ©jĂ  depuis longtemps on s’est soustrait au devoir d’amour, d’assistance, d’empathie, de caresses, de cĂąlins, dÂ’Ă©coute.  Quitter sa femme, son homme, c’est lui rendre son indĂ©pendance affective Ă  l’autre, retrouver la sienne . Et Dire non aux injonctions d’une sociĂ©tĂ© qui ne veut pas oser la culpabilitĂ©. 

Partir mais pas pour un autre.

Pas de point de comparaison, il parait que c’est plus dur car l’autre ne peut pas Ă©prouver de la colĂšre contre un tiers, ne pas soulager sa rage. Il ne peut dĂšs lors pas trouver d’issue, expliquer dĂšs lors que rien n’est contre lui mais que tout est pour soi.  Ne pas dire qu’il mĂ©rite mieux mais qu’il mĂ©rite autre chose.  Penser au mal qu’on fait aux enfants en partant, c’est oublier et nier le mal qu’on fait aux enfants en restant  Penser uniquement au mal qu’on fait aux enfants en partant, c’est oublier de leur dire qu’ils sont souverains , libres d’aimer et de ne plus aimer, c’est ne pas leur apprendre le douloureux chemin de l’acceptation de soi, dans nos limites dans nos faiblesses. C’est nier notre libertĂ© de choix.  Affronter Ă  la fois la perspective d’une nouvelle solitude mais aussi un sentiment de soulagement.  quand les mots ont Ă©tĂ© prononcĂ©s. Pourquoi l’autre ne le vivrait il pas de la mĂȘme maniĂšre ? Ne pas ĂȘtre Synchro sur cet Ă©tat ne fait pas de lui une victime mais un ĂȘtre rĂ©sillient, Ă  son rythme.  Alors, crĂ©er le vide, c’est admettre de crĂ©er l’espace, c’est laisser place Ă  la matiĂšre. Du chaos surgit lÂ’Ă©tincelle de vie. CrĂ©er le vide est un moyen de renouer avec le vivant.

deculpabiliser

refléchir

sourire

se réinventer

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