Si longtemps. Si longtemps avant dÂouvrir mon ordinateur et y dĂ©verser mes billets dÂhumeur, mes envies, mes refus, mes Non et mes oui. Vous faire rĂ©agir, vos messages dÂencouragement, vos mots doux, vos Ă©nergies tout cela mÂa beaucoup manquĂ© Et en mĂȘme temps Fuck
JâĂ©tais ailleurs, dans une autre matrice, Ă rĂ©flĂ©chir aux sens Ă donner, aux leçons Ă apprendre, toujours Ă rechercher une forme dÂabsolu. Cette pĂ©riode inĂ©dite de crise sanitaire oĂč nos angoisses se sont mĂȘlĂ©es aux espoirs, oĂč les cous Ă©taient tendus vers un monde imaginaire, fantasmĂ©, à la fois si proche, et si lointain , oĂč les oreilles se laissaient porter par un futur prometteur, oĂč les discours prĂŽnaient une rupture, un monde meilleur. Un lendemain qui chante disait Hyppo dans un monde sans pitiĂ©.Vous vous souvenez ?Â
Mais je nÂĂ©tais que dans le mien de monde. Celui que je me proposais de vivre Ă lÂissue du dĂ©confinement. Un monde oĂč je reprendrai ma vie en main, avec de nouvelles libertĂ©s, de nouveaux horizons, une nouvelle organisation. Un monde avec un poids en plus aussi, le monde dÂune femme qui porte la culpabilitĂ© de celle qui part.
Bienvenue dans ce nouvel Ă©pisode de EEMTFÂ
JÂai chopĂ© le Covid dĂ©but fĂ©vrier, bien avant que lÂennemi soit clairement identifiĂ© en France, que le chef de lÂEtat nous dĂ©clare « en guerre » et nous intime lÂordre du retranchement. Une fatigue immense mÂĂ©tait tombĂ©e de dessus Ă tel point que pour une fois je dĂ©cidais dÂaller voir le mĂ©decin pour une prise de sang, guettant un autre ennemi, celui de la femme qui vieillit, de la femme quadra, de la femme qui fume depuis bien trop longtemps. Mes poumons, mes ovaires, mon utĂ©rus, oĂč le crabe avait-il donc dĂ©cidĂ© de se loger ? RĂ©sultats en demi teinte, interprĂ©tĂ© mollement par mon mĂ©decin. ClouĂ©e au lit, je refaisais le malade imaginaire, en proie Ă une nouvelle et inconnue hypocondrie. Ou alors cÂĂ©tait juste un gros coup de fatigue, une lassitude dÂun quotidien qui sÂĂ©tiole, des bras qui ne sÂouvrent plus, un lit qui nÂest plus un champ de batailles heureuses et jouissives, un matelas qui reprend les formes distinctes des corps, lÂune bien Ă droite, lÂautre bien Ă gauche. Et au milieu le spectre bien lisse dÂune atonie installĂ©e. LÂennui fatigue, la neurasthĂ©nie fatigue. Mon corps a devancĂ© ma tĂȘte, a pris les devants, mÂenvoyĂ© un message clair et envoyĂ© une sentence sans appel. A priori mes oreilles Ă©taient aux abonnĂ©es absentes. Puis lÂagueusie, croquant dans une pĂątisserie orientale, la recrachant presque tant son gout cartonnĂ© et insipide, dĂ©nuĂ© de douceurs sucrĂ©es mÂa Ă©coeurĂ©e. JÂavais perdu le goĂ»t, le gout des aliments, et avec le recul, le goĂ»t de la vie lĂ©gĂšre, simple, sans embarras. Manger sans saveur, Ă la recherche dÂune Ă©tincelle gustative : un peu de piment dÂespelette, un poivre bien corsĂ© ? Nada.Mon palais Ă©tait anesthĂ©siĂ©, insensible aux saveurs, douces ou mauvaises.
Et mon palais, cÂĂ©tait mon cervelle.
Plus de goĂ»t Ă rien. Une dĂ©naturation prĂ©monitoire, une longue vue prophĂ©tique. Et puis, un dimanche, mon cerveau a dĂ©cidĂ© de faire le lien, de comprendre le message, de ne plus ignorer les signaux. 15 jours aprĂšs la libĂ©ration, jÂai quittĂ© mon compagnon, le pĂšre de ma petite derniĂšre. Et la culpabilitĂ© a dĂ©barquĂ© en trombe, a fait irruption dans ma vie . Je lÂattendais je peux vous le dire, coutumiĂšre du fait. JÂai osĂ© la culpabilité non comme un Ă©tat permanent, un fardeau Ă vie mais comme un passage obligĂ©, une Ă©tape Ă laquelle je ne peux me soustraire. Accepter la souffrance, accepter la culpabilitĂ©, la rendre lĂ©gitime et puis la laisser partir.
Si la douleur est un passage obligĂ©, la souffrance est un choix.Â
Oser la rupture est il plus simple pour une femme ?
JÂaime Ă penser que nous femmes sommes rompues Ă la rupture, quÂelle est une partie de nous, physiologique Nos cycles menstruels, nos Ă©tats de jeune fille, de mĂšre potentielle, puis cette nouvelle gĂ©nĂ©ration de notre fĂ©minitĂ© quÂest la mĂ©nopause nous habituent Ă aux changements, aux fractures, Ă une forme de regĂ©nĂ©ration. On ne sÂautorise pas toujours Ă quitter lÂautre . Pourquoi ? Ne pas reproduire un schĂ©ma familial, ou reproduire un schĂ©ma dĂ©jĂ vĂ©cu. Devenir aux yeux des autres celle qui rompt, qui lĂąchĂ©, qui abandonne, qui cause du chagrin, cÂest accepter dÂĂȘtre jugĂ©e sans quÂon ait pu soumettre ses arguments , sans avoir fait la diatribe du couple dans son intimitĂ©. Et lÂĂ©chec dÂune relation nÂa pas besoin de tribunal public , elle ne se soumet pas au tribunal populaire.Â
Penser Ă la souffrance que lÂon inflige Ă lÂautre cÂest le lier encore Ă soi, lÂinfantiliser , le rendre encore dĂ©pendant , lui soustraire son libre arbitre , cÂest le faire rentrer dans la derniĂšre logique du couple, dans son ultime Ă©tape, cÂest lÂenfermer dans ses propres dĂ©mons, cÂest lÂempĂȘcher dÂavancer et de sortir du dernier carcan. Penser Ă la souffrance que lÂon inflige Ă lÂautre manque aussi dÂhumilitĂ©. CÂest se croire indispensable, cÂest que croire irremplacable, cÂest se croire vital Ă lÂautre. CÂest penser quÂon remplit son espace, cÂest admettre que le couple ne fit quÂun et que cette entitĂ© est insoluble . CÂest empĂȘcher le renouveau de lÂatome. CÂest oublier que si on en est arrivĂ©e lĂ , cÂest que dĂ©jĂ depuis longtemps on sÂest soustrait au devoir dÂamour, dÂassistance, dÂempathie, de caresses, de cĂąlins, dÂĂ©coute. Quitter sa femme, son homme, cÂest lui rendre son indĂ©pendance affective Ă lÂautre, retrouver la sienne . Et Dire non aux injonctions dÂune sociĂ©tĂ© qui ne veut pas oser la culpabilitĂ©.Â
Partir mais pas pour un autre.
Pas de point de comparaison, il parait que cÂest plus dur car lÂautre ne peut pas Ă©prouver de la colĂšre contre un tiers, ne pas soulager sa rage. Il ne peut dĂšs lors pas trouver dÂissue, expliquer dĂšs lors que rien nÂest contre lui mais que tout est pour soi. Ne pas dire quÂil mĂ©rite mieux mais quÂil mĂ©rite autre chose. Penser au mal quÂon fait aux enfants en partant, cÂest oublier et nier le mal quÂon fait aux enfants en restant Penser uniquement au mal quÂon fait aux enfants en partant, cÂest oublier de leur dire quÂils sont souverains , libres dÂaimer et de ne plus aimer, cÂest ne pas leur apprendre le douloureux chemin de lÂacceptation de soi, dans nos limites dans nos faiblesses. CÂest nier notre libertĂ© de choix. Affronter Ă la fois la perspective dÂune nouvelle solitude mais aussi un sentiment de soulagement. quand les mots ont Ă©tĂ© prononcĂ©s. Pourquoi lÂautre ne le vivrait il pas de la mĂȘme maniĂšre ? Ne pas ĂȘtre Synchro sur cet Ă©tat ne fait pas de lui une victime mais un ĂȘtre rĂ©sillient, Ă son rythme. Alors, crĂ©er le vide, cÂest admettre de crĂ©er lÂespace, cÂest laisser place Ă la matiĂšre. Du chaos surgit lÂĂ©tincelle de vie. CrĂ©er le vide est un moyen de renouer avec le vivant.