Un podcast écrit par Esther Pi
Il y a quelques semaines en plein confinement, je donnais un cours sur la crĂ©ation de podcasts par zoom Ă une vingtaine dÂĂ©tudiants. Et puis sortie de nulle part, la remarque de lÂun deux me fige sur lÂĂ©cran : Ah si jÂavais su que vous Ă©tiez fĂ©ministe, jÂaurai du dire Ă Untelle de participer Ă cette option de cours ! Elle aurait adorĂ©. Moi toujours si prompte Ă rĂ©pondre du tac au tac, je me mets Ă bafouiller. Mais quoi fé fĂ© .. FĂ©ministe ? Mais chuis pas fĂ©m 22 paires dÂyeux mÂont scrutĂ© bizarrement, prĂȘtes Ă voir surgir mon double malĂ©fique qui rĂ©tablirait la vĂ©ritĂ©. Alors suis-je fĂ©ministe ? Y a t il un fĂ©ministe de la femme quadra diffĂ©rent de celui de la femme de 20/30 ans ?Bienvenue dans ce 13Ăšme billet dÂhumeur de EEMTFÂ
LÂĂąge a-t-il une influence sur notre maniĂšre dÂĂȘtre fĂ©ministe ?Â
Que nous ont transmis nos mĂšres soixante huitardes qui avaient une vingtaine dÂannĂ©es quand « Le deuxiĂšme Sexe » est paru en librairie ? Que nous ont appris nos mĂšres baby boomers qui ont suivi en direct Simone Veil faire accepter sous les huĂ©es et les insultes sa loi Ă©ponyme ? Ou quand Benoite Groult a Ă©crit « Ainsi soit elle » ? PĂ©tard Ă la bouche ou pas, faites lÂamour pas la guerre sous les pavĂ©s ou sur les couettes, ces femmes dans leur majoritĂ© ont reçu cette nouvelle avancĂ©e fĂ©ministe mais ont-elles eu le temps et recul nĂ©cessaires pour nous en faire profiter ?Â
Comment lÂont-elles intĂ©grĂ© dans leur maniĂšre dÂĂ©duquer leurs enfants nous en lÂoccurence la gĂ©nĂ©ration X ?Â
Elles sont nĂ©es avec le droit de vote, la loi de 1965 leur donnait lÂĂ©mancipation juridique dont elles avaient besoin pour signer un contrat de travail et ouvrir un compte bancaire Ă leur nom. Vu dÂici, jÂai lÂimpression que ces avancĂ©es par rapport Ă leurs mĂšres donnaient dĂ©jĂ satisfaction et que les mouvements fĂ©ministes Ă©taient rĂ©servĂ©es Ă une minoritĂ© de femmes, intellectuelles et parisiennes. MĂȘme notre admirable Simone Veil promulguera quelques 10 ans plus tard la crĂ©ation du congĂ© parental pour 3 ans, relĂ©guant quelque part de nouveau la femme Ă sa premiĂšre fonction entre guillemets  : celle de sÂoccuper des enfants avant de sÂoccuper dÂelle, carriĂšre ou pas et la laissant , Ă lÂissue de cette pĂ©riode, bien en peine de retrouver une situation professionnelle stable et garantissant son indĂ©pendance. Du fin fond de ma province natale, je nÂai pas eu, je crois, une mĂšre qui se soit occupĂ©e de mon Ă©ducation fĂ©ministe. MĂȘme si Ă lÂĂ©poque, le « Bien ma petite, maintenant que vous avez accouchĂ© dÂune fille, il serait grand temps de nous faire un garçon » assenĂ©e par sa belle-mĂšre Ă la maternité a rĂ©sonnĂ© un peu bizarrement Ă ses oreilles, en tout cas suffisamment pour quÂelle mÂen parle quelques annĂ©es plus tard. ( heureusement quand mĂȘme que je suis solide )Â
En revanche, il lui a toujours paru incongru ( et je reste diplomate dans le choix des mots ) mes choix de femme libre, volant dÂun amour Ă lÂautre, quittant les hommes, quittant mon domicile, laissant pour un temps ma cadette avec eux pour voguer vers de nouvelles aventures.Â
Ce que jÂappelais dĂ©jĂ de tous mes voeux Ă savoir un indestructible goĂ»t pour la libertĂ© Ă©tait-elle la premiĂšre pierre de mon fĂ©minisme ? Les germes de ce dernier serait donc endogĂšnes et non exogĂšnes.Â
Mais bon sang, quÂest-ce que le fĂ©minisme aujourdÂhui portĂ© par les jeunes femmes ?Â
Entendu dans un Ă©pisode du podcast « La poudre » de Lauren Bastide son invitĂ©e dire « Le fĂ©minisme ne peut ĂȘtre que radical ». Serrant les dents, jÂai repensĂ© Ă cette jeune femme ( dĂ©solĂ©e ma piteuse mĂ©moire des noms illustre probablement mon Alzheimer prĂ©coce) entendue Ă la radio dĂ©clarer que Truffaut et son film « LÂhomme qui aimait les femmes » devrait ĂȘtre interdit, brulĂ© car ode au patriarcat et Ă son mĂąle dominant prĂȘt Ă poursuivre, tel le chasseur, la quĂ©quette dressĂ©e, les bourses gonflĂ©es, la femme dans les rues. Non mais tu plaisantes lĂ ? TÂes Ă jeun meuf ?Â
Eh bien moi je ne veux pas de ce fĂ©minisme-lĂ . Il est pour moi lÂincarnation dÂun fĂ©minisme victimaire, un fĂ©minisme diffĂ©rentialiste qui pousse naturellement dans un excĂšs qui le rend inaudible Ă sa « cible » principale : LÂhomme. Si cÂest Ă nous dÂĂȘtre le message, il faut aussi que celui qui doit le recevoir puisse le recevoir et dans les conditions dÂune Ă©coute mutuelle ! Sinon autant pisser dans la mer. Ca excite, ça Ă©chauffe mais en rien cela ne fait rĂ©flĂ©chir.Â
Je ne suis pas sure que la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sar pourtant prĂ©sentĂ©e par une femme que jÂestimais a fait avancer la cause des femmes en donnant un message hautement intellectuel Ă la gent masculine. Et une fois de plus, quand je vois ce genre de comportement, jÂai la sensation dÂĂȘtre une femme victime, « celle qui se lĂšve et se casse », celle qui ne remonte plus sur scĂšne.Â
Les dĂ©parts de Florence et AdĂšle ont Ă©tĂ© un aveu de dĂ©faite, et non un aveu de puissance. En faisant cela, elles nÂont pas fait un coup dÂĂ©clat mais elles ont shootĂ©e dans un ballon dĂ©gonflĂ©.Â
Et que dire de la parole : muette ! On ne ne souvient pas du nom, on bafouille, on appelle Atchoum un homme dont la femme enceinte de 8 mois, a Ă©tĂ© assassinĂ©e, le ventre ouvert au couteau du nombril au pubis, ( trop jeune pour connaitre Sharon Tate ou un cruel manque de discernement? De culture ? Les 3 Ă la fois ?)Â
et puis on quitte lÂĂ©chiquier public au lieu de livrer sa bataille ! Ben non meuf, lĂšve-toi oui!! mais te casse pas, prends la scĂšne puisque tu as la chance dÂy avoir accĂšs, reprends le micro Florence et grĂące Ă ton intelligence, mets des mots sur ta rĂ©volte ! Car les tribunaux populaires ont cette facultĂ© dÂĂȘtre laconiques et ne pas respecter deux droits fondamentaux : Celui de la prĂ©somption dÂinnocence et celui de la rĂ©demption. Tout cela sans la prĂ©sence de lÂaccusĂ©.Â
ëàJe ne suis pas dÂaccord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » dit Voltaire.
CÂest bien le sentiment que jÂai eu ce soir si lÂune dÂelle avait eu le courage de prendre la parole au lieu de fuir. CÂest en revanche bien ce courage-lĂ quÂont eu une Ardant, une Deneuve, une Binoche ou Dujardin et Gilles Lelouche en dĂ©fendant leurs convictions et quelques jours plus tard Beigbeder sur Europe 1. Une pluie dÂinsultes et de menaces sÂest abattue sur eux. Le fĂ©minisme dÂaujourdÂhui imposerait donc une vision manichĂ©enne du monde et serait exclu immĂ©diatement toutes celles qui nÂobtempĂ©reraient pas aux diktats du parti. Le monde est donc devenu sans nuances et celle qui dira quÂelle n est pas dÂaccord avec le pamphlet de Despentes dans LibĂ© sera vouĂ©e aux gĂ©monies.
Le fĂ©minisme radical a tendance Ă imposer une bien-pensance femelle qui me pĂšse autant que toutes les autres et qui me fait automatiquement appartenir au clan dÂen face ; celui du mĂąle blanc et bedonnant, puissant que ce soit financiĂšrement, artistiquement, intellectuellement, ce fameux patriarcat asservissant.
Ou alors ( et cÂest peut ĂȘtre cumulatif) dans le clan des vieilles connes rĂ©actionnaires.Â
Dans lÂĂ©tablissement de cette bien-pensance fĂ©ministe, toute nuance est exclue sous peine de mort mĂ©diatique ( Esther, reviens sur terre tÂes pas connue, ok Ă la peine de mort sociale ou amicale) Le fĂ©minisme serait donc manichĂ©en, nous enfermant Ă double tour dans une pensĂ©e unique et quiconque sÂen Ă©loigne risque le lynchage systĂ©matique, « Nous finirons le travail des nazis » ont dit Ă peu de choses prĂšs les fĂ©ministes devant lÂentrĂ©e des CĂ©sar.Annihiler la personne, la rĂ©duire Ă nĂ©ant sert-il la cause des femmes ? Et ce radicalisme conduit malheureusement toujours aux extrĂȘmes. Par essence destructrices.Â
Alors oui lÂinstauration dÂun tribunal populaire, portĂ© aux nues par les rĂ©seaux sociaux doit surement ĂȘtre la consĂ©quence de tribunaux dÂEtat dĂ©faillants, prompts Ă une indulgence masculine, et ĂȘtre aussi la consĂ©quence de ces services de police qui traitent mal ou pas du tout les femmes victimes de violences sexuelles.Â
Mais les actions de leur porte (sans )voix sont elles vouĂ©es Ă faire bouger les lignes ? Leurs mĂ©thodes sont-elles efficaces pour la cause honorable quÂelles souhaitent dĂ©fendre ? « Meute de hyĂšnes » dira Beigbeder , « HystĂ©riques » sera la frĂ©quente rĂ©ponse.Â
Et si les principales ennemies du fĂ©minisme Ă©taient les fĂ©ministes elles-mĂȘmes ?
JÂai peur de cette sociĂ©tĂ© aseptisĂ©e, cette sociĂ©tĂ© donneuse de leçons, qui ouvre les portes de la rĂ©habilitation quand cela lui chante. Ladj Ly a Ă©tĂ© vite rĂ©habilitĂ© ce soir-lĂ , comme CĂ©line, Ă©crivain favori dÂAdĂšle ou LĂ©a posant devant un poster de Michael Jackson.Â
Le militantisme fĂ©ministe mÂapparait pourtant comme une assemblĂ©e de voix qui ouvrirait le champ des possibles mais jÂai peur de ne voir parmi ces jeunes femmes quÂun agrĂ©gat de pensĂ©es dogmatiques .La pensĂ©e unique dÂaujourdÂhui met en danger la pluralitĂ© du fĂ©minisme, la sociĂ©tĂ© dystopico-fĂ©ministe me semble vouĂ©e Ă lÂĂ©chec car non seulement elle place les femmes dans un statut victimaire mais aussi parce quÂelle ne dĂ©fend pas les plus fragiles :Â
JÂai souvent arguĂ©e que je nÂĂ©tais pas fĂ©ministe car je nÂavais pas le sentiment de devoir me battre pour affirmer la femme que jÂĂ©tais, que se battre Ă©tait une forme de stigmatisation, de revendication inutile car je refusais de facto lÂidĂ©e mĂȘme de diffĂ©renciation.Â
Accepter de me battre contre une chose dont je refusais mĂȘme lÂexistence mÂaurait relĂ©guĂ©e dans une position Ă dĂ©fendre mon vagin comme diffĂ©rence fondamentale. Et je nÂai jamais voulu rentrer dans cette Ă©quation.Â
Autant vous dire que passer 4 ans Ă la tĂȘte dÂune concession automobile vous fait pourtant bien comprendre ce quÂest la puissance masculine et sa misogynie. Et pourtant. JÂai toujours refusĂ© de voir les attaques personnelles et perfides de mon constructeur comme une attaque contre mon statut de femme. Ca aurait Ă©tĂ© me rĂ©duire Ă ma biologie, Ă mon clitoris, Ă mes seins. Et ca cÂĂ©tait hors de question. Aveu de faiblesse immĂ©diat, catĂ©goriquement refusĂ©.Â
En prenant de lÂĂąge et de la maturitĂ© , jÂai compris nĂ©anmoins que nous nÂĂ©tions pas toutes armĂ©es pour lutter contre les inĂ©galitĂ©s sexuelles. A cause dÂun faisceau dÂĂ©lĂ©ments que sont lÂĂąge, la religion, lÂĂ©ducation, le caractĂšre, une femme peut ĂȘtre bien en peine de se dĂ©fendre des diktats et injonctions masculines. Et ces femmes-lĂ doivent ĂȘtre dĂ©fendues, protĂ©gĂ©es et cÂest lĂ que mon combat commence.Â
De la mĂȘme maniĂšre que le fĂ©minisme ne peut pas ĂȘtre le mĂȘme ici en France que dans dÂautres pays oĂč la place de la femme est plus que bafouĂ©e, oĂč elle est mariĂ©e de force, rouĂ©e de coups, lapidĂ©e, excisĂ©e, violĂ©e sans la possibilitĂ© dÂune justice, mĂȘme imparfaite.Â
OĂč sont-elles les fĂ©ministes citĂ©es plus haut dans le combat contre les violences faites aux femmes en ces temps de confinement ? Aphones donc, plus un seul post, silence radio, sauf pour parler du chien Marcel. La dictature du rire, merci FrĂ©dĂ©ric, ton livre a rĂ©sonnĂ© si fort. Et ce morceau dÂanthologie dÂOctave pour sĂ©duire une femme de nos jours ! page , je vous le conseille.Â
« HĂ© grande gueule, tu fais quoi toi Esther pour la condition fĂ©minine ? » Mon podcast est une rĂ©ponse permanente aux injonctions, une diatribe permanente contre la privation des libertĂ©s individuelles, quÂelles soient au sein du foyer conjugal, de la famille ,de lÂespace public ou professionnel. Je ne suis pas connue, je nÂai pas 1M de followers, je ne gagne pas dÂargent voire jÂen perds, mais jÂy consacre 20 Ă 30 heures par semaine. CÂest ma voix Ă moi, mon combat, mon espoir dans lÂĂ©ducation de nos fils et nos filles pour un demain meilleur et mes mots signent chaque semaine mon engagement.
Merci Ă Simone Veil, Marguerite Yourcenar ,Benoite Groult , & Elisabeth Badinter, dÂavoir su faire de moi une femme . Cette derniĂšre dira dÂailleurs : « la libertĂ© des femmes ne va pas sans celle des hommes. « CÂest ce que jÂenseigne Ă mes filles.Â



