- Esther, ce sujet a déjà été traité par nos grands magazines féminins
- Oui ben je sais
- Non mais cela fait quasi un an que cest sorti déjà…
- Ben je sais oui !
- Tu veux pas qu’on te prenne pour une has-been…
- Non mais je lavais loupé, et…
- Et quoi ??
- Ben je suis tombée sur des photos sur Pinterest qui mont mises les larmes aux yeux
- Pff, Tes trop sensible comme fille, allez file
Vous aussi avec ce confinement , vous vous retrouvez à parler avec vous-même ? Bonjour et bienvenue dans ce numéro 12 du podcast EEMTF.
Alors que, à linstar de beaucoup dentre nous, je cherchais des idées pour repeindre ma chambre à coucher, rêvant au moment où je pourrai de nouveau aller fouiner chez Caravane, Sarah Lavoine, Farrow&Ball et AMPM, je tombe sur des photos sur Pinterest dune chambre à moitié peinte, et quand je dis à moitié peinte, je parle dune césure entre le blanc et la couleur fait à larrache, avec la trace du rouleau bien visible, assumé, voire ostentatoire.
Et la petite voix dans ma tête qui me dit « mais cest tout moi ça!! »
Impossible de tracer une ligne droite avec ce putain de scotch spécial peinture qui-va-pas-faire baver-la-couleur, repasser au pinceau taille Sasha en petite section les petites traces du bleu lavoine, à la peinture blanche pour délimiter le plafond du mur, avec mes lunettes qui sembuent, mes lunettes de presbyte précoce qui ne voient rien, coincée en haut de léchelle où il fait une chaleur à crever.
Donc mon inaptitude de peintre en bâtiment nest donc pas une tare mais un concept qui porte un joli nom japonais qui vaut tous les compliments du monde : je suis dans la WABI SABI décoration et je trouve cela esthétiquement canon, intellectuellement parfait pour moi et mes défaillances.
Le wabi sabi est le concept nippon de la non perfection, de limpermanence des choses. Traduction en déco, ce sont des verres ébréchés, des serviettes dépareillées et surtout pas repassées.
Cest un mur peint à moitié , cest lanti bling-bling, la mort des moquettes épaisses et des dorures, la guillotine des meubles neufs et sans âme, cest une ode aux matériaux bruts, à lassemblage organique; à la Nature simple prompte à nous faire accepter une réalité que lon veut embellir à tout prix; cest refuser la main de lhomme, refuser le concept grégaire du concept suédois bleu et jaune.
Cest accepter que tout ne soit pas parfait. Cest sublimer la beauté de linattendu. Un vieux papier peint que lon découvre sous 4 couches peintures et dont on va garder une partie, parce quelle a vécu, parce quelle a des choses à raconter.
Alors je sais quà ce stade du billet, vous me voyez venir avec mes gros sabots issus de ma Lorraine natale, je sais que vous savez que je vais oser le plaidoyer contre la perfection, cette sale petite voix dans nos têtes qui nous ordonne de préparer la meilleure prés PPT, le meilleur Osso bucco, la meilleure éducation pour nos gosses, la meilleure photo Instagram qui fera décoller les like.
Alors oui, fan de WABI SABI je suis devenue, collant ce nouvel esthétisme à un de mes crédo favoris : refuser les injonctions de la perfection car la perfection cest chiant, ca prend du temps. Et cest souvent contre productif, inutile et pesant pour soi, pour lentourage.
Accepter que tout ne soit pas parfait, il ny a pas de mère parfaite comme il nexiste pas denfant parfait. Il ny a pas de job parfait comme il nexiste pas demployé modèle ou de patron modèle.
Il ny a pas de conjoint parfait comme il nexiste pas de prince charmant ou de gendre idéal.
De grands poncifs ? Des choses déjà entendues ? Peut être mais les appliquez vous ?
Jai été cette femme control freak, qui veut diriger, imposer, simmiscer dans tout, prévoir, calculer. Dun tempérament profondément bordélique, jai lutté des années contre moi-même
Vous aussi vous ne pouviez pas commencer lannée scolaire quavec un nouveau sac, une nouvelle trousse aux crayons bien taillés, à la gomme parfaite et au pot de colle lisse qui sent bon lamande amère ? Si je navais pas tout cet attirail de première élève, mon année serait foutue assurément. Il me fallait du neuf, du bien propre, du bien rangé, des étiquettes sur les livres posés tous au même endroit sur un axe XY. Cela ne ma pas emp^ché dêtre une élève pitoyable de la 6ème à ma seconde première
Cette femme control freak ma rendu la vie difficile, a rendu à mes proches la vie parfois impossible. Le moindre changement me rendait dingue, le gravillon dans les rouages prend des proportions.
Car accepter que tout ne soit pas parfait est un job à plein temps, accepter léchec cest bien dans les livres quon achète et quon ne lit pas, qui font déco sur la table de chevet, mais pour soi, no way. Car cest bien de cela dont il sagit.
On ne peut pas être épanouie quand on contrôle constamment, quand on érige chaque jour des obligations.
Ma vie a été souvent des tableaux Excel pour checker mon quotidien. Elevée professionnement par la grande école de la distribution automobile, jai ouvert tous les onglets de tableaux de bord, de points de passage de %, de suivi de trésorerie.
Mon premier appartement ressemblait à un appartement témoin, les fleurs bien coupées dans des vases neufs, la couette tirée sur les côtés, les coussins impeccablement disposés et suivant un ordre rigoureux. Une discipline quotidienne, le trait delle liner impeccable, le cheveux lissé et gazé de produits chimiques, le brushing impeccable, la frange nette.
Un rituel rassurant, une routine du droit chemin qui réduit à néant la cavalcade, le chemin de traverse, mais qui sécurise par ses barrières, ses garde fous.
Alors, vite Déterminer dès que possible si on répond via ces automatismes rigoureux à sa vraie personnalité ou si cest juste à cause de lindéfectible peur de léchec.
Se rassurer un jour et constater avec surprise que la réussite ne tient pas qu »à ses fondements en béton armé et ses lignes droites.
Il y a si peu de temps encore, repousser la création du podcast EEMTF ( non pas avant que jai 4 shooting davance, et 10billets dhumeur écrits, pas avant que ma charte graphique soit parfaite, que ma musique soit mixée 50 fois) , bref que je me sente sécurisée par tous les éléments exogènes, que tout soit au cordon.
Contrer le syndrome de limposteur : suis je légitime ? Ne trouvant pas de réponse tangible, ériger des points de contrôle pour se rassurer. Ou des barrières pour ne pas le faire .
Craindre léchec, ne pas laffronter, reculer. Se protéger derrière des arguments, les ériger dogmatiquement, à la fin espèrer y croire. Avoir une petite voix diablement entêtante, un Jiminy Criquette tentateur, le faire taire. Puis découvrir que limperfection épouse parfaitement la création.
Lâcher prise, revenir à lessentiel cest à dire sa capacité détonnement, sa versatilité féconde, son inconstance. ( voir lépisode sur la curiosité curative)
Accepter la souffrance des épreuves, accepter la joie des matins endormis.
Accepter lune comme lautre dans leur durabilité, accepter lune comme lautre dans leur brièveté, leur instabilité.
Nattendre ni leurs départs, ni leurs retours mais se laisser cueillir, comme un amant éloigné qui nest pas revenu
Relire Kundera quand on a lu à 16 ans, reprendre le livre, trouver Tereza pesante alors que nous la défendions du haut de nos intempérances adolescentes, comprendre Sabine, sa légèreté, sa liberté.
Et puis regarder à nouveau ce mur au quart ou à moitié plein, lui laisser la possibilité dune suite, cest ne jamais mettre un point final, cest lopportunité dune reprise, comme une idée que vous aviez dans la tête, que vous avez laissé sous la poussière de nos vies actives et que vous vous autorisez à reprendre.
On ne laisse pas une idée dans un coin
( jingle EEMTF)
Voir avec délice nos épreuves se transformer en expériences riches, sublimes. En rire ou en pleurer. Retrouver de la force, de lauthenticité dans la simplicité, la brulure vivifiante dans la vérité. Toute nue. Nécessairement imparfaite.
Poursuivant mes recherches sur le Wabi sabi, je découvre lart japonais de réparer les objets cassés avec de lor, lart de réparer les blessures avec le matériau le plus précieux quil soit. Le Kintsugi.
Je suis restée hypnotisée face à cet art. Mes yeux ne pouvaient se détacher de ces lig nes dor qui suivent la trace de la blessure.Je nai pas pu empêcher les larmes de monter tant sur le message que sur la forme ; ces assiettes fêlées par un mauvais mouvement, par la vieillisse, par un accès de colère, par inadvertance par gaucherie, ont résonné en moi comme mille séances de psy.
Affronter ses colères, les trouver déplacées, borderline, les remettre en place, les soigner. En sourire.
Panser ( avec un a ) » et penser avec un « e » ses chagrins: Dire quon a trop aimé, quon sest abimée, quon a pleuré puis se dire que toutes les larmes ont rempli labime, ont construit des rivières et quon sy sent vivante, tellement vivante. Leau comme celui du Mikvé pour les femmes juives, celui du baptêmes chez les catholiques, la purification par leau 5 fois par jour des musulmans, symbole de fécondité, source du paradis. Dun renouveau, encore.
Les bols abimés, fracturés du Kintsugi ont trouvé une nouvelle arme, la coulée dor a renforcé le sédiment; plus tout à fait la même, pas tout à fait une autre.
Jai découvert que je maimais abimée. Surtout abimée. Merveilleusement abimée.
Le Kintsukuroi ou lart de réparer ses blessures avec de lor peut prendre des semaines, des mois voire une année. On dit que cest lart de la résilience mais comme je lai déjà dit, la résilience revient à retrouver sa forme initiale. Et là couverte de mes stries, je ne suis pas retournée à létat initial. Cest même mieux : Comme je lai lu sur le magnifique compte instagram @danslabouchedunefille , je suis une guerrière. Et cette guerrière je vais la parer dor.
Enfin dun tatouage sur ma cicatrice qui scinde mon ventre dest en Ouest. Ce sera mon Kintsukuroi à moi. Mon ventre champ de bataille se relève du combat et sort fier, victorieux.
Puis se tourner vers ceux que lon aime, vers nos amies, nos filles et leur dire à quel point leurs imperfections sont leur force, à quel point leurs blessures sont des opportunités incroyables pour être encore plus belles, que leurs projets inachevés nattendent quelles pour revivre, ou quils étaient juste la version beta du prochain.
Femmes je vous aime




Super sujet ! MERCI !