#03 Qu’attendez-vous de moi ?

Cette phrase, on l’a aussi entendue, ou au moins on se l’ai dite tout bas ou on l’a criée à nos enfants, à notre conjoint, à notre amant, à notre boss ou à nos collègues, à nos parents. Sur un ton excédé, en colère ou juste sur un ton de légitime questionnement.

Qu’attendez-vous de moi ? D’être une mère attentive à ne pas oublier le goûter d’anniversaire et courir pour se retrouver le temps d’une pause dej, interloquée devant le choix des jouets Djeco spécial temps calme ( oui les jeux temps calme que l’on achète par solidarité avec les autres mères pour la promesse de quelques minutes de paix ! ).

D’être cette mère qui ne crie pas mais engage le dialogue, respecte l’enfant dans son entièreté sans pour autant renoncer à des principes d’éducation. Oui, Sasha met plus d’une heure à terminer son petit dej alors que la course à l’école est déjà bien engagée; ne pas brusquer, taper du pied, vite encore les dents à laver, ne pas oublier le bonnet, l’écharpe et le doudou. « Non pas de trottinette ce matin ma chérie je porte tes 17 kg sur mes épaules », j’enfile mes gazelles pour mieux courir, le cerbère de la porte nous regarde d’un mauvais œil, on est les dernières mais hop pas en retard ! Poke à Florence Foresti.

Un dernier bisou : « je t’aime mon amour, ne sois pas trop sage mais évite moi les urgences quand tu feras le cochon pendu dans le préau ». Et mince, j’ai totalement oublié de mettre du mascara à l’œil gauche, il était trop occupé à savoir si tu terminais ton bol de lait de soja.

Qu’attendez-vous de moi ?? D’être une femme qui pense dès potron-minet au repas du soir, à savoir si le frigo contient bien de quoi sustenter tous les ogres du dîner, de regarder quels sont les légumes et fruits de saison pour respecter le biorythme d’une planète qu’on aimerait sauver par des gestes simples et quotidiens. Courir acheter le livre « En 2 heures je cuisine pour toute la semaine, le best seller du batch booking » ; sans oublier qu’il en faudra 2 de plus pour les courses chez Monop, se rendre compte qu’on a pas assez de Tupperware en verre ( le plastique c’est mal, on est écolo ou bien ? ), repartir chez Monop en running pour cumuler les anneaux de notre I watch.

Qu’attendez-vous de moi ? D’être une femme à l’heure au rendez-vous avec la présentation PPT qui déchire, l’œil vif, les mains manucurées et le corps svelte, témoin de nos investissements sportifs réguliers et preuve ( s’il en fallait une ) que nous, femmes Quadra, sommes soucieuses de notre silhouette et que nous ne lâchons rien. À 40 ans et plus, le souci du look n’est pas qu’un banal exercice de style, c’est un acte social et révélateur d’une manière de vivre. C’est trouver le compromis idéal entre la nouveauté sans pour autant céder aux chaussettes dépareillées, le juste équilibre entre des vêtements confortables. Ne pas sombrer dans le ridicule d’une tenue qui serait plus adaptée à une chearleader pré-pubère qu’à une quadra doit être inscrit en lettres d’or dans votre dressing.

Eh, vous avez remarqué ? On n’a pas le droit à l’expression « vieux beau » version féminine mais directement « cougar ». Un look trop sexy nous fait basculer irrémédiablement vers une sexualité tendue et revendiquée, une sexualité en apnée et en demande. Un look trop strict nous fait prendre les 10 ans qui nous séparent de la cinquantaine, anticipe notre ménopause et annihile de facto notre utérus, le mettant immédiatement en retraite anticipée. Qu’attendez-vous de mon look ?

Qu’attendez-vous donc de mon travail ? Dois-je être créative, au top des dernières tendances ? Connaître les algorithmes d’Instagram comme on sait préparer le pot-au-feu du dimanche ? Eh guys don’t forget que l’on travaille gratis à partir du dernier quadrimestre, un peu de compréhension. Et oui, je pars plus tôt aujourd’hui, j’ai mis 4 mois à avoir ce rendez-vous avec ce pédodentiste ; pas question que votre réunion du vendredi à 17H enlève à Sasha la possibilité d’avoir le sourire de Juliette Binoche.

Vous croyez que je me lamente sur notre condition ? Que nenni mesdames. Et il serait superfétatoire ( bien lancée je fais des mots de plus de 5 syllabes ) de vous rappeler que nous avons cette chance inouïe d’avoir la possibilité d’être toutes ces femmes.

Et Être cette femme polymorphe ne signifie en rien être une femme parfaite, bien au contraire.

Bref, cette femme polymorphe, je la dénigre pas, je ne la plains pas, je la kiffe !

Car je crois en nos capacités à être toutes ces femmes sans en renier aucune. Je la revendique cette femme polymorphe aux mille facettes, aux mille visages, aux mille possibilités. Parce que nous sommes capables de l’investir pleinement ; parce qu’elle nous donne une force inouïe de renverser les tables, de bousculer les règles, de rebattre les cartes, de relancer les dés. Parce qu’être cette femme nous ouvre le champ des possibles ( c’est une expression que j’affectionne particulièrement en ce moment, elle est vaste ! ) ; elle ne nous vide pas mais au contraire nous pousse à l’ouverture, nous emplit de forces nouvelles et nous engage à l’altérité. Je veux que nous soyons toutes ces femmes comme le chantait Dalida. Toutes ces femmes en une, kaléidoscope de notre génération, fille des baby boomers et mère des enfants Montessorri. Je prends cet engagement comme preuve de nos multiplicités, de nos forces ; elle ne me contraint pas dans une seule voie. Je nous veux : femme slasheuse, mutante et permutante. Je revendique le droit d’être créative en sachant parfaitement toutes les formules d’un tableau Excel ; je revendique le dernier maillot Ères même si vous allez voir mes petits bourrelets impossibles à dégager. Privilège de l’expérience : on sait ce qui nous va, ce qui mettra en valeur les atouts, ce qui gommera les défauts. Je revendique le droit à lire Sarraute et plonger dans Gala chez le coiffeur ; de manger un cabillaud brocolis toute la semaine pour m’enfiler une bouteille de Rully avec un Brie aux truffes le week-end.

Je ne suis pas contrainte par cet aveu de performance. Je ne veux y voir que cette recherche permanente du rapport à soi serein même dans le speed, je ne veux y voir qu’une recherche inlassable non pas de « performance » mais d’imagination ; parce que nous assumons cette femme arc-en-ciel, en couleurs et en noir et blanc, parce qu’il n’existe pas 50 nuances de gris mais des milliers, parce que ce statut est pour nous une opportunité d’être et de savoir à saisir, pour nous renouveler, éviter l’ennui et combattre la vacuité.

Vive les femmes polymorphes !
Et vous chers auditeurs, qu’attendez vous de moi?

Et en même temps fuck : Un podcast écrit par Esther Pi, assistante de production Méline Iscache, sous la relecture attentive de Sandrine Del Sol, illustration Marie Félix et musique originale Many Kinds Design.Crédit photo Ian Dooley for Unsplash

Add a comment...

Your email is never published or shared. Required fields are marked *

    deculpabiliser

    refléchir

    sourire

    se réinventer

    we loveInstagram