L’impossible regret

Le sujet de ce podcast a été choisi avant ce grand moment de nos vies qu’est le confinement. Il est parfaitement fortuit, il n’est pas un pousse au crime  et aussi je n’ai pas pu l ‘écrire aussi rapidement qu’à l’accoutumée. Parce que c’est plus qu’un sujet sensible, c’est un sujet dont peu de femmes parlent, parce que leur parole fait peur, parce qu’on les traite de folle, d’anormale, parce que c’est LE tabou absolu. Faire son coming-out dans une famille religieuse, annoncer une maladie vénérienne dans un couvent, c’est du pipi de chat à côté. 

Quand j’ai acheté ce livre à la FNAC, livre dont je me suis inspirée pour ce billet d’humeur -, j’ai eu du mal à le poser sur le comptoir de la caisse. J’ai ressenti puissance 1000 au carré  la sensation qu’un homme timide peut avoir lorsqu’il achète une revue porno chez le kioskier, ou une femme timide pour demander des préservatifs à la pharmacie. Ou l’inverse d’ailleurs.

J’ai ressenti une sensation très ambivalente lorsque je suis tombée sur ce titre, un moment schizophrénique entre l’effroi et la curiosité, entre le réel ébahissement et mon immuable crédo qui est  la « liberté », et parmi elle la liberté d’expression. 

Et c’est bien d’ambivalence dont il va être question pendant ces 10 minutes de billet d’humeur.L’ambivalence sur la maternité et surtout sur le regret de la maternité. 

« Le regret d’être mère » est le titre du très perturbant livre d’Orna Donath, paru aux éditions Odile Jacob

Quand j’ai soumis l’idée de ce podcast à une de mes amies, cette dernière a eu un mouvement de recul ( j’imagine car au téléphone les mouvements sont durs à apprécier) mais j’ai senti tout le désarroi, voire le rejet que cette idée avait pu provoquer chez elle. 

Regretter d’être mère ! Ah non impossible, c’est criminel de dire que l’on regrette d’être mère. Et c’est là que j’ai senti, au plus profond de mon âme de femme et de mère que je me devais de prendre ce sujet à bras le corps, à bras de tabous, à bras de femme et surtout à bras de mère. Car mon amie n’a rien d’une intolérante, ou d’une réactionnaire ( bon elle habite Neuilly mais personne n’est parfait) elle ne juge jamais, manifeste une réelle empathie vis à vis de l’autre démuni, elle est, selon mes valeurs, une femme formidable. Et pourtant sa réaction a été à l’encontre de ma pierre angulaire, liberté je chéris ton nom. Il fallait que je parle de cela, pour que ces réactions face à cet état de fait se ramollissent, se doucifient ( j’ai placé un néologisme de mon cru) se pacifient. 

Le regret d’être mère, ou l’impossibilité définitive pour les femmes de penser que l’expérience de la maternité n’est pas une expérience heureuse. Mon podcast et bien sur plus largement le mouvement #monpostpartum a parlé de ces moments possibles pendant ou après l’accouchement où la jeune maman que nous devenons peut être, pour un faisceau de raisons, déstabilisée, désarçonnée voire déçue par son nouvel état. De ce moment qu’on attendait tant et qui ‘arrive pas, du lien qui peut prendre du temps, de l’instinct maternel qui est sur pause.

Mais dans l’étude qu’a mené Orna Donath , il s’agit de mères de 1 ou plusieurs enfants ( l’une d’entre elle est même enceinte de son troisième enfant quand elle témoigne) qui regrettent de manière définitive leur maternité, bien au delà du post-partum. Certaines d’entre elles sont même grand-mères, autant dire qu’elles ont eu largement  le temps de réfléchir à la question. 

#regrettingmotherhood dans une société qui nie aux femmes le refus de la maternité, quel que soit le moment de leur vie et de leurs parcours.

On entend depuis quelques mois des jeunes femmes refuser la maternité sous couvert d’une démarche écologique, d’un refus de surpeupler une planète déjà exsangue, une planète qui dès fin juillet a épuisé toutes ses ressources annuelles. 

Loin de moi l’idée de penser que ces jeunes femmes ne sont pas sincères dans leur démarche mais on peut aussi imaginer que cet argument écologique peut cacher, plus ou moins consciemment un refus de maternité sans qu’il y ait une raison « valable » aux yeux du bien-pendant, une raison  plus acceptable socialement. 

Refuser d’être mère, selon Orna Donath, c’est oser pour une femme le pouvoir de  banaliser la relation de la maternité, c’est la réduire à une relation humaine comme une autre. Refuser la maternité, c’est désacraliser le rôle d’une femme, celui que lui a donné Dame Nature, celui de procréer. On a le droit de regretter un ex, un mari. Pas un enfant. 

Etre mère est un sacerdoce, une promesse sociale issue de la nuit des temps, une réponse primitive au peuplement de l’humanité et donc à sa survie.

 En 1973 ( quelle année magnifique !!! ) sortait le film  de Jacques Demy « L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune » avec Marcello Mastroianni. Marcello, l’italien, figure de proue de la condition masculine découvre qu’il est enceint. La scène avec sa gynécologue pour un toucher vaginal enfin un toucher quoi est gravé dans les annales. ( bon ok elle est un peu facile mais faut décompresser ) 

N’en déplaise à Mireille Mathieu qui assure la BO ( mythique…) , ce sont les femmes qui portent les enfants. Et au delà d’accepter leur état de grossesse, c’est aussi à elles que l’on demande le plus de sacrifices et à vie. 

Et ce qui doit nous interpeller, (et même si aujourd’hui la société accepte qu’on ait reculé la date de sa première progéniture) , c’est que l’on demande aux femmes QUAND elles auront un enfant, c’est que l’on demande aux femmes COMBIEN d’enfants elle désire mais jamais ne viendrait à la bouche la question : veux tu des enfants ?

C’est à dire que la question du « Si  tu veux un enfant » se heurte et meurt instantanément face à la tyrannie biologique et l’endoctrinement social. 

Ecoutons nous, nous les mères dire «  tu ne peux savoir tu n’as pas ENCORE d’enfants », ou alors à une femme qui dit timidement son refus de la maternité : « Ne fais pas ça, tu vas le regretter », encore « tu n’as pas trouvé le bon avec qui le faire ( les plus cool ajouteront «  tu n’as pas trouvé la bonne «  car oui peut-on aussi autoriser à une femme lesbienne le droit à refuser d’être mère ou PIRE de regretter d’avoir été mère. Evidemment ma réponse est oui.

Enoncner cela clairement revient à dire finalement que notre liberté d’action est restreinte de facto à ce que l’environnement attend de nous. Donc nous ne sommes pas tellement libres..

Nous les femmes sommes peut-être les pires à adhérer à la norme de la maternité, comme si on brandissait un glaive infaillible, une arme incroyable qui nous différencie de l’autre moitié de l’humanité : Nous et notre utérus, nos trompes et nos hormones on SAIT que dans la maternité nous trouverons la partie manquante de notre féminité, que nous serons dès lors une femme à part entière. Mais quel manque de discernemnt, quel piteux sentiment de supériorité , quel égo nous agitons là. Et j’ai surement fait partie de ces femmes BTW. Rétrospectivement, j’ai honte d’avoir baigné dans ce conformisme et dans ces affirmations péremptoires et à l’eau-de-rose.

Si la pression sociale peut éventuellement être prête à accepter que l’on refuse tout net la maternité et noyer dans les phrases toutes faites vaut mieux des remords que des ref-gerts, c’est Beaucoup plus complexe d’accepter ce regret à postériori. 

Ce serait comme gommer les enfants nés, les annihiler à coup de dépression hostile, cracher sur les berceaux, bruler les premiers colliers de pâtes.

On a tellement nié, tué dans l’oeuf ( pardonnez cette expression) toute velléité à dire «  je n’aurai jamais du être enceinte » que ces mères qui le ressentent ne peuvent s’imaginer que d’autres qu’elles puissent vivre cette même souffrance.

Car c’est bien de cela dont il s’agit : une souffrance extrême de culpabilité, une souffrance extrême de se sentir anormale, monstrueuse, une souffrance de penser que l’on est seule à ressentir cet idée. Que cette souffrance  est innomable donc ne peut structurellenbt pas exister.

Vous pensez que ces femmes sont des monstres ? Qu’elles haïssent leurs enfants ? Que nenni, ce sont des femmes qui aiment leurs gosses, qui les chérissent, qui les couvent, s’inquiètent pour eux. Dans l’étude, aucune d’elles n’ a «émis le moindre doute sur son amour maternel. Seulement si elles avaient eu droit à un « consentement éclairé » elles n’auraient jamais mis au monde leurs bébés. Et c’est ici qu’on doit saisir la nuance entre volonté et consentement, entre ce qu’il FAUT faire pour répondre à cette primo injonction et ce qui aurait relevé de leur seul libre arbitre. Ces mères regrettent la maternité, pas leurs enfants. Et faire cette différence est primordiale. Et elles vivent dans un sentiment illicite, quasi illégal, moralement plus que répréhensible. 

Passage d’Anémone de 5:40 à 6’10

Je suis tombée par hasard sur cette émission belge il y a quelques jours. Lire les commentaires orduriers sur la page YouTube de la vidéo ( commentaires faits par des femmes by the way) fait prendre conscience que la route vers cette tolérance est longue. 

« Pourquoi regrettent-elles? » devez-vous demander? De pas avoir eu la vie qu’elles auraient voulu, de s’affranchir des contraintes, de la charge mentale ,de la pression de la famille, du mari, , des amis, de réussir peut-être une carrière professionnelle, d’être grand médecin ou juste poétesse. Elles regrettent leur liberté d’action ou d’inaction, le pouvoir de choisir d’être libre. Le pouvoir d’être heureuse sans répondre à la sacro-sainte obligation d’être mère. 

Libre, le mot clé, celui qui doit faire taire les injonctions. 

Alors non, Une vie sans enfants ne peut pas, ne peut plus être synonyme de vie ratée.

On se doit, au nom de la tolérance, au nom de cette liberté qui nous anime, défendre cette idée, l’accepter avec bienveillance et aider celle qui pourrait vous en faire la confidence. 

Mais pas que…

C’est aussi à nous mères, grand-mère potentielle de dire à nos filles qu’une vie sans enfant est une vie comme une autre, ni plus réussie, ni plus ratée qu’une autre. Ni plus complète, ni plus incomplète. 

C’est à nous mères d’éduquer nos filles pour qu’elles échappent aux pressions, pour qu’elles prennent conscience d’un réel libre arbitre, pour qu’elles choisissent réellement, munies de critères objectifs ou subjectifs, la manière dont elles veulent vivre leur féminité;

Aujourd’hui nous éduquons nos enfants pour que le rose ne soit pas l’apanage des filles, pour que les garçons puissent jouer à la poupée.
Aujourd’hui nous éduquons nos enfants pour qu’ils aient la liberté de vivre leur orientation sexuelle, pour qu’ils aient la liberté de déterminer leur sexe s’ils se sentent enfermés dans un genre qui ne leur convient pas

Il faut désormais éduquer nos filles pour qu’elles ne subissent pas cette injonction primitive, mais qu’elles choisissent leur destinée de femmes, sans culpabilité, qu’elles aient la possibilité d’affirmer « non je ne veux pas d’enfant et tout va bien  » afin d’éviter de lire ces témoignages déchirants.

Il faut aussi écouter toutes ces trentenaires ( et j’en ai une au moins dans mon colimateur) qui n’entendent que des «  C’est pour quand ? , alors on s’y met ? «  et leur dire que non, c’est pas une obligation hein, elles ne bruleront pas en enfer pour autant. 

Qu’elles fassent un choix éclairé et éclairant, qu’elles puissent sans reproches exhumer de leurs matrices l’idée qu’elles ne sont pas nées pour procréer obligatoirement.l Libérons la parole des trenta, laissons leur faire leur coming out sur la non maternité assumée. 

Il y aurait tant à dire encore sur le sujet, comme parler aussi du désir des hommes qui peuvent aussi conduire sa compagne à honorer la relation par un enfant, pour que la relation s’harmonise et perdure. 

Ou encore éclairer sur les conditions de ces maternités regrettées, qu’elles touchent des femmes aux revenus faibles comme des hauts revenus

Il y a aussi le sujet des enfants de ces femmes, comment leur dire, comment leur faire comprendre ,je laisse Anémone répondre

Passage d’Anémone de 6:23 à 6’33

Et pour conclure, je vais lever un doute sur une question que vous vous posez peut-être, comme une Réalité  cachée dans le placard et prête à faire son motherhood coming out. Non je n’ai jamais regretté mes enfants, je n’ai jamais regretté d’être mère  mais je suis en revanche parfaitement consciente du prix à payer, du lourd tribu d’être mère si jeune puis un peu vieille 😉 Mais c’est un autre sujet de podcast  que j’ai à coeur de traiter très rapidement :

« Le regret d’être mère » Orna Donath, novembre 2019, éditions Odile Jacob – Hep taxi, Emission RTBF https://www.youtube.com/watch?v=zrGG45uvljU / L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, Jacques Demi 1973,https://www.youtube.com/watch?v=_O4d0FXm7Bg / et aussi The future of motherhood, 1974, Jessie Bernard 

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