Un pléonasme salvateur
Lors d’une conversation il y a quelques jours avec une amie, cette dernière me confie que son père estimait la vie de sa fille « instable ». Cette amie était toute chafouine à l’idée que son père puisse porter un tel jugement.
Traçons une rapide portrait de cette amie instable : Une femme de 40 ans, parisienne, une vie professionnelle de journaliste donc sujette aux voyages, aux rencontres humaines, et à la diversité des sujets traités, puis un bébé en route et un couple qui bat vite de l’aile, le père du bébé qui se révèle un peu… défaillant, une rupture inévitable, un départ vers les cieux plus clément de l’ouest de la France et le redémarrage d’une nouvelle activité, mêlant sa formation initiale, ses expériences acquises et une nouvelle… compétence digitale. Et une nouvelle vie de célibataire toute fraiche.
Bon l’histoire vous parle ? N’est-elle pas somme toute assez banale en ce sens que les familles monoparentales ne sont plus regardées comme familles anormales, que les séparations après bébé sont fréquente, que les changements radicaux professionnels rentrent peu à peu dans les moeurs d’une vie qu’on se souhaite meilleure.
A cette amie, instinctivement, comme pour la protéger rétrospectivement du jugement patriarcal, j’ai répondu du tac au tac : « Tu n’es pas instable, tu es curieuse ».
Le soir de cette conversation je me jette sur internet et google le premier mot « instable ».
La défintion du dico est sans appel : « Instable : Qui est instable affectivement ou psychologiquement.
Synonymes : déséquilibré, versatile, volage, détraqué, vagabond, précaire, « curiosité » ».
Dans la foulée, je rentre « curiosité » dans ma barre de recherche et je tombe sur une page de l’Académie française et d’un de ses immortels Erik Orsenna.
Il dit : « Comment tuer à jamais la phrase idiote qui a ravagé notre enfance « la curiosité est un vilain défaut » ?
Revenez au latin. Curiosité vient de cura, qui veut dire la cure, comme dans cure ou curatif.
Donc le curieux est celui, ou celle, qui prend soin. »
Je persiste et je signe. L’instabilité n’est pas un vilain défaut, elle est l’essence même d’une recherche de bien-être, et à plusieurs niveaux.
Affrontons ces 2 concepts avec des exemples précis :
Sexuellement
Mesdames, vous qui avez testé de nombreux partenaires, mâles ou femelles, avant de vous fixer avec l’un ou l’une d’elle, ou de simplement trouver votre orientation sexuelle, vous n’êtes ni instables, ni nymphomanes, vous êtes CURIEUSES et vous avez pris soin de vous, de votre sexualité pour trouver celui ou celle qui vous convenait à l’instant T.
Tout en mettant en exergue le fait qu’il n’y a pas d’obligation à trouver non plus.
Familialement
Vous avez fait des enfants, vous avez quitté les pères, les mères ? Vous avez reconstruit une autre famille ailleurs, vous kiffez votre célibat ? Et alors ? Vous avez eu l’exigence de ne pas sombrer dans une vie qui ne vous remplissait plus, vous êtes sorties de votre zone de confort pour chercher un ailleurs qui vous ressemble. Vous avez troqué une stabilité délétère CONTRE une curiosité salvatrice.
Et curieusement, le plus dur passé, vous vous sentez apaisée. Vous avez guéri les maux. Curieusement.
Professionnellement
Vous avez changé plusieurs fois et de manière rapprochée les boites dans lesquelles vous ne vous sentiez plus à votre place ? ET ALORS ? Une des mes poulettes adorées que je nommerai « Red » eu égard à la couleur de ses cheveux me confiait, il y a quelques semaines : » Je m’ennuie à mourir, je me sens bloquée, je tourne en rond, à deux pouces du bore-out. MAIS Je ne peux pas encore quitter ce job, cela ne fait pas 2 ans que j’y suis, et celui d’avant non plus. Sur mon CV et sur Linkedin, ca va pas le faire, on va dire que je suis pas STABLE. » Selon moi, s’emmerder, perdre sa belle énergie, gâcher un talent tel que le sien à compter les jours releve du servage mental, de la self-lobotomie.
Si la langue française est riche de nuances, ses pratiquants comptent aussi une armée d’imbéciles dans le monde professionnel, prêts à vous sauter dessus parce que vous ne respectez pas la règle de LEUR normalité.
C’est quoi cette barre des 2 ans qui sauve les apparences ? Non monsieur, je suis partie de cette boite parce que je n’avais plus rien à lui apporter et réciproquement, j’ai quitté cette boite parce que je ne trouvais plus de sens, j’ai quitté cette boite parce que j’ai eu la curiosité de voir si l’herbe était plus verte qu’ailleurs, j’ai quitté ma boite parce que mon boss, mon collègue était un parfait connard etc… Bref j’ai pas fait les sacro-saints 2 ans parce que j’ai soigné mon avenir, parce que ma curiosité a pris soin de moi, elle a joué son rôle étymologique de guérisseuse.
Et Eemtf
Elle est marrante cette Esther ? les beaux discours etc… Plus facile à dire qu’à faire…
Moi ? j’ai été directrice de concession automobile à 24 ans puis éditrice de mobiliers pour enfants au sein d’un réseau de franchises que j’ai crée de toutes pièces ; parce que je ne trouvais plus de sens à mon travail, j’ai tout flingué en 1 mois puis en 2 ans, j’ai fait les cours Florent, repris par deux fois des études à 33 et 35 ans et remonté une boite de prod. Dans l’intervalle, pour assumer ma nouvelle vie parisienne et assumer ma vie de maman seule avec sa fille, j’ai bossé en tant que chef de rang pour les plus célèbres auvergnats parisiens.
Et parce qu’un job n’est jamais suffisant pour s’ouvrir l’esprit et remplir son dressing, je suis formatrice dans des écoles de commerce et d’audiovisuel. J’ai enseigné la création d’entreprise le matin et la prise de paroles l’après midi. Et aujourd’hui je fais des shootings photos et je suis podcasteuse ! J’assume tout, ne dénigre rien, ne me pavane de rien, juste le fait qu’avoir une vie ne nous restreint pas à en vivre juste une seule !
J’ai perdu ma virginité assez jeune ( ah la curiosité…) eu une multitude d’amants, ai eu deux enfants avec 2 hommes différents, suis partie quand je m’ennuyais, suis partie quand je n’aimais plus. Cela fait-il de moi une femme instable ou une femme qui recherche un équilibre de vie ??
J’espère que notre génération 70 puisse être la dernière à être traitée d’instable. Et qu’on en finisse. Que vous soyez infirmière le matin et prof de flamenco le soir, que vous soyez cadre supérieure à la Def’ et graffeur le week-end et que nos enfants soient avocats le jour et DJ la nuit sans que cela ne fasse plus d’eux des « originaux ».
Je revendique le droit à être slasheuse (vous savez cette petite barre oblique qui pousse à l’accumulation).
Des petites phrases un peu perfides de mon ex mari me reviennent : Alors là tu es dans ta phase architecte ( oui! j’avais repris une année de remise à niveau artistique à l’école de Condé, un échec cuisant !!! ) , là tu es dans ta phase photographe ( j’avais fait un long stage au SPEOS pour apprendre l’argentique et le développement ), là tu es dans ta phase « conserves » parce que ma marmite tournait H24 à la casa et je me ruinais en achat de bocaux » le parfait « .
Eh bien oui, je suis curieuse, j’expérimente, je teste, je renifle.
Et je suis assez persuadée que toutes ce expériences ont conduit à être la femme que je suis aujourd’hui, que j’ai longtemps distribué les pièces d’un puzzle sans image précise mais consciente inconsciemment qu’à la fin quelque chose allait en ressortir. Tadam !
La curiosté est le sel de la vie, celui qui absorbe les lassitudes, les ennuis, les atermoiements.
La curiosité est notre porte de sortie vers un meilleur, vers autre chose, un nouvel horizon.
Et si finalement j’étais assez curieux/se pour tout lâcher pour rejoindre, pour vivre avec elle, lâcher ma vie ailleurs, juste pour quelques minutes, heures, années contre sa peau.
Si je lâchais ce job pour devenir ébéniste, monter un biocoop, devenir institutrice ?
Rechercher ce qui nous semble nous convenir, se tromper, recommencer ne fait pas de nous des personnes instables. Et si vous persistez, je réponds que mon instabilité est mon équilibre.
Ma curiosité est ma plus grande force. J’ai mis 45 ans à m’en rendre compte, 45 ans à penser que, à l’instar du vilain petit canard, je ne vivais pas dans la bonne mare.
Mon instabilité est mon plus grand rempart contre la certitude, mon instabilité est mon meilleur anti-rides cérébral.
Esther pi pour EEMTF
Crédit photo Jude Beck for Unsplash