#05 Ce qui ne tue pas

Cette semaine, je vais parler d’une de ces petites phrases, pas celle directement liée à notre âge mais à notre parcours de vie et celle-là me met dans une rage même pas sourde, une rage bruyante, filet de bave aux lèvres, prothèses ongulaires parées à l’attaque.
Ces petites phrases données pour mantra, presque comme hygiène de vie. Celles qui traversent nos journées, de manière récurrente, que l’on a quasiment admises comme vérité inébranlable, mako moulées dans le goudron de nos quotidiens.

ET JE DÉTESTE l’inébranlable. Comprenne qui veut.

elle est ex æquo avec une autre, impossible de savoir laquelle détient le record de la connerie : On a toujours fait comme ça! Symbole d’un immobilisme mental, d’une neurasthénie létale, d’une paralysie destructrice.

Et donc celle qui me fait sortir de mes gonds ce matin :
« Ce qui ne tue pas rend plus fort. ».
« Plus fort » ? Plus fort que quoi d’abord ?
Comment énoncer une phrase pareille sans prendre en compte l’état initial dans lequel on se trouve. Déjà.

Se pose donc la question de nos souffrances (et bien sûr je vais parler de nos souffrances de femme) et de la manière dont on peut les gérer.
Cette phrase de Nietzsche issue du Crépuscule des idoles se consacre justement à la possibilité pour une certaine catégorie de personne, (et si j’ai bien compris dans un environnement plutôt guerrier) de dépasser la souffrance afin qu’elle élève plutôt que ne rabaisse.

Ok.
Que vais-je donc dire à cette femme, qui est aussi mon amie, ma sista de coeur dont les enfants ont été victimes de la fameuse aliénation mentale par un père obsédé par sa rage de nuire ? Comment lui dire que cela va la rendre plus forte qu’on lui ait nié son rôle de mère pour celui d’une femme maltraitante ? Qu’elle s’est battue de longs mois pour retrouver sa place de maman protectrice, pour stopper les crachats de sa progéniture ? Oui bien sûr, elle a trouvé, pendant un temps, la rage, la force de retrouver sa dignité. Mais qu’en est-il resté après. La bataille a laissé chez elle des traces indélébiles.

j’ai lu dans un de nos magazines féminins préférés une interview de l’auteure de « playboy » Constance Debré qui, à 40 ans, après avoir fait son coming-out à mari et fils s’est retrouvée accablée de tous les maux, jusqu’à des accusations de pédophilie sur son fils. Elle s’est battue elle aussi, en tant que femme, en tant que mère puis elle explique qu’à un moment, elle a laissé son fils partir, s’éloigner. À prendre trop de coups, même une mère peut renoncer à l’amour inconditionnel. C’est mal, c’est tabou. Comment cela renoncer à l’amour inconditionnel ? Nous qui avons été programmées pour enfanter, pour porter la vie ?
Mais merde à la fin ! Qui nous contraint à cette fatalité d’être une mère aimante toute sa vie, de prendre des coups sans possibilité non pas de les rendre, mais de les laisser sans aucune résistance physique ? Pourquoi y a-t-il abandon de poste quand on nous enlève le job en question. Quant à mon amie, cette phase de sa vie lui a enlevé un bout d’elle-même et ce bout là ne reviendra pas. A-t-elle été sur une dangereuse tangente au point de renoncer à ses enfants ?
Non, peut-être l’a-t-elle fantasmé. Mais elle s’est battue sans atteindre ce point de non-retour. Mais dire que cela l’a rendue plus forte serait la trahir. Cette femme a été amputée d’une partie d’elle-même sans possibilité d’une autre greffe. Et je ne crois pas que vivre avec un organe en moins rende plus fort. On vit juste autrement.

Que dire de ces femmes battues par leur compagnon ? Je vous rappelle les 150 féminicides déclarées depuis le début de l’année. Pour ces dernières, on saura pas si cela les aurait rendues plus fortes. Et pour celles qui restent ? Celles qui ont subi dans leur chair des attaques au couteau, à l’étranglement ? Ou dans leurs âmes les insultes, les brimades, les « t’es qu’une conne bonne à rien ».

Ces femmes sont meurtries, cela ne peut pas les rendre plus fortes.

Dans ma vie de de mère, j’ai été enceinte 6 fois. Et vous avez compris que j’ai eu 2 filles.
Cela signifie pour moi un avortement à 36 ans, 2 fausses couches et un avortement thérapeutique car mon bébé de 4 mois dans mon ventre présentait de graves problèmes chromosomiques. À une journée près, j’aurai du accoucher de cet enfant. Je n’ai pas voulu savoir si c’était une petite fille ou un petit garçon.
Eh bien non, je ne peux pas dire que ces 4 enfants non nés, cette douleur dans mon ventre charcuté, cette souffrance d’être privée de ces enfants m’ont rendues plus fortes. Il reste en moi une abîme de chagrins, une armée de souvenirs d’hôpital de prise de sang d’aiguilles d’amniocentèses et des kilomètres de « s’ils étaient vivants, si j’avais eu cette fratrie pour mes filles ».
Cela m’a aussi rendue sûrement encore mère poule, mère lionne envers ma cadette, lui faisant porter malgré moi un poids qui ne la concerne pas.
Ce qui ne m’a pas tuée m’a rendue plus faible.
Bien sûr je ne suis pas morte, cela ne m’a pas physiquement tuée. Mais je reste sectionnée dans ma chair, sans ces enfants, avec un coeur en césarienne.

Résilience dites vous ? Définition du dico : en physique c’est la résistance d’un métal à un choc. Ou la capacité d’une matière à retrouver sa forme originelle suite à une déformation. Par exemple, la mousse à mémoire de forme a une excellente capacité de résilience. À moins de comparer nos vies à nos matelas et oreiller je vois pas comment me sortir de ce constat consternant.
Si cela nous a rendu(e)s plus fort(e)s, c’est donc qu’on était juste pas vivant avant.

Notre capacité à nous réinventer autrement, de sortir de sa souffrance oui, mais dire que c’est une force? Je ne pense pas. D’autant que nous ne sommes pas à armes égales pour combattre les kilos de merdes et de vacheries que la vie parfois peut nous faire subir. Notre éducation, notre enfance se chargent de nous donner ( ou pas ) les outils pour combattre.

À l’homme je demandais ce matin comment lui, appréhendait cette phrase.
J’aurais dû me douter de la réponse masculine : « Cela me rend plus dur, plus méfiant. ».

Raisonnons par l’absurde : si on s’en prend plein la gueule et qu’on s’en rajoute tant et plus, (« si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche ») allant jusqu’à l’automutilation physique ou mentale (écouter Zaz en boucle par exemple) est-ce pour autant que cela va nous rendre plus fort ? Pas sûre.

On peut donc proposer 2 manières de réagir : se renfermer se durcir et tendre vers la misanthropie. Ce qui peut être tentant, je vous l’accorde. Se mettre en éveil, lâcher prise, avoir besoin des autres, leur exprimer sa gratitude. Vous souvenez vous de Sabine Azema dans le film La buche de Danielle Thomson à propos de la dépression hostile? Elle dit que quand elle est triste, elle est encore plus gentille avec les autres, qu’elle donne encore plus d’amour pour rentrer dans un cercle vertueux.

Moi je dis : ce qui ne tue pas rend moins con, c’est tout. Et c’est déjà ça.

Et en même temps fuck.

Un podcast écrit par Esther Pi, sous la relecture attentive de Sandrine Del Sol, Crédit photo Cristian Newman for Unsplash

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