Cette semaine, je vais parler dune de ces petites phrases, pas celle directement liée à notre âge mais à notre parcours de vie et celle-là me met dans une rage même pas sourde, une rage bruyante, filet de bave aux lèvres, prothèses ongulaires parées à lattaque.
Ces petites phrases données pour mantra, presque comme hygiène de vie. Celles qui traversent nos journées, de manière récurrente, que lon a quasiment admises comme vérité inébranlable, mako moulées dans le goudron de nos quotidiens.
ET JE DÉTESTE linébranlable. Comprenne qui veut.
elle est ex æquo avec une autre, impossible de savoir laquelle détient le record de la connerie : On a toujours fait comme ça! Symbole dun immobilisme mental, dune neurasthénie létale, dune paralysie destructrice.
Et donc celle qui me fait sortir de mes gonds ce matin :
« Ce qui ne tue pas rend plus fort. ».
« Plus fort » ? Plus fort que quoi dabord ?
Comment énoncer une phrase pareille sans prendre en compte létat initial dans lequel on se trouve. Déjà.
Se pose donc la question de nos souffrances (et bien sûr je vais parler de nos souffrances de femme) et de la manière dont on peut les gérer.
Cette phrase de Nietzsche issue du Crépuscule des idoles se consacre justement à la possibilité pour une certaine catégorie de personne, (et si jai bien compris dans un environnement plutôt guerrier) de dépasser la souffrance afin quelle élève plutôt que ne rabaisse.
Ok.
Que vais-je donc dire à cette femme, qui est aussi mon amie, ma sista de coeur dont les enfants ont été victimes de la fameuse aliénation mentale par un père obsédé par sa rage de nuire ? Comment lui dire que cela va la rendre plus forte quon lui ait nié son rôle de mère pour celui dune femme maltraitante ? Quelle sest battue de longs mois pour retrouver sa place de maman protectrice, pour stopper les crachats de sa progéniture ? Oui bien sûr, elle a trouvé, pendant un temps, la rage, la force de retrouver sa dignité. Mais quen est-il resté après. La bataille a laissé chez elle des traces indélébiles.
jai lu dans un de nos magazines féminins préférés une interview de lauteure de « playboy » Constance Debré qui, à 40 ans, après avoir fait son coming-out à mari et fils sest retrouvée accablée de tous les maux, jusquà des accusations de pédophilie sur son fils. Elle sest battue elle aussi, en tant que femme, en tant que mère puis elle explique quà un moment, elle a laissé son fils partir, séloigner. À prendre trop de coups, même une mère peut renoncer à lamour inconditionnel. Cest mal, cest tabou. Comment cela renoncer à lamour inconditionnel ? Nous qui avons été programmées pour enfanter, pour porter la vie ?
Mais merde à la fin ! Qui nous contraint à cette fatalité dêtre une mère aimante toute sa vie, de prendre des coups sans possibilité non pas de les rendre, mais de les laisser sans aucune résistance physique ? Pourquoi y a-t-il abandon de poste quand on nous enlève le job en question. Quant à mon amie, cette phase de sa vie lui a enlevé un bout delle-même et ce bout là ne reviendra pas. A-t-elle été sur une dangereuse tangente au point de renoncer à ses enfants ?
Non, peut-être la-t-elle fantasmé. Mais elle sest battue sans atteindre ce point de non-retour. Mais dire que cela la rendue plus forte serait la trahir. Cette femme a été amputée dune partie delle-même sans possibilité dune autre greffe. Et je ne crois pas que vivre avec un organe en moins rende plus fort. On vit juste autrement.
Que dire de ces femmes battues par leur compagnon ? Je vous rappelle les 150 féminicides déclarées depuis le début de lannée. Pour ces dernières, on saura pas si cela les aurait rendues plus fortes. Et pour celles qui restent ? Celles qui ont subi dans leur chair des attaques au couteau, à létranglement ? Ou dans leurs âmes les insultes, les brimades, les « tes quune conne bonne à rien ».
Ces femmes sont meurtries, cela ne peut pas les rendre plus fortes.
Dans ma vie de de mère, jai été enceinte 6 fois. Et vous avez compris que jai eu 2 filles.
Cela signifie pour moi un avortement à 36 ans, 2 fausses couches et un avortement thérapeutique car mon bébé de 4 mois dans mon ventre présentait de graves problèmes chromosomiques. À une journée près, jaurai du accoucher de cet enfant. Je nai pas voulu savoir si cétait une petite fille ou un petit garçon.
Eh bien non, je ne peux pas dire que ces 4 enfants non nés, cette douleur dans mon ventre charcuté, cette souffrance dêtre privée de ces enfants mont rendues plus fortes. Il reste en moi une abîme de chagrins, une armée de souvenirs dhôpital de prise de sang daiguilles damniocentèses et des kilomètres de « sils étaient vivants, si javais eu cette fratrie pour mes filles ».
Cela ma aussi rendue sûrement encore mère poule, mère lionne envers ma cadette, lui faisant porter malgré moi un poids qui ne la concerne pas.
Ce qui ne ma pas tuée ma rendue plus faible.
Bien sûr je ne suis pas morte, cela ne ma pas physiquement tuée. Mais je reste sectionnée dans ma chair, sans ces enfants, avec un coeur en césarienne.
Résilience dites vous ? Définition du dico : en physique cest la résistance dun métal à un choc. Ou la capacité dune matière à retrouver sa forme originelle suite à une déformation. Par exemple, la mousse à mémoire de forme a une excellente capacité de résilience. À moins de comparer nos vies à nos matelas et oreiller je vois pas comment me sortir de ce constat consternant.
Si cela nous a rendu(e)s plus fort(e)s, cest donc quon était juste pas vivant avant.
Notre capacité à nous réinventer autrement, de sortir de sa souffrance oui, mais dire que cest une force? Je ne pense pas. Dautant que nous ne sommes pas à armes égales pour combattre les kilos de merdes et de vacheries que la vie parfois peut nous faire subir. Notre éducation, notre enfance se chargent de nous donner ( ou pas ) les outils pour combattre.
À lhomme je demandais ce matin comment lui, appréhendait cette phrase.
Jaurais dû me douter de la réponse masculine : « Cela me rend plus dur, plus méfiant. ».
Raisonnons par labsurde : si on sen prend plein la gueule et quon sen rajoute tant et plus, (« si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche ») allant jusquà lautomutilation physique ou mentale (écouter Zaz en boucle par exemple) est-ce pour autant que cela va nous rendre plus fort ? Pas sûre.
On peut donc proposer 2 manières de réagir : se renfermer se durcir et tendre vers la misanthropie. Ce qui peut être tentant, je vous laccorde. Se mettre en éveil, lâcher prise, avoir besoin des autres, leur exprimer sa gratitude. Vous souvenez vous de Sabine Azema dans le film La buche de Danielle Thomson à propos de la dépression hostile? Elle dit que quand elle est triste, elle est encore plus gentille avec les autres, quelle donne encore plus damour pour rentrer dans un cercle vertueux.
Moi je dis : ce qui ne tue pas rend moins con, cest tout. Et cest déjà ça.
Et en même temps fuck.
Un podcast écrit par Esther Pi, sous la relecture attentive de Sandrine Del Sol, Crédit photo Cristian Newman for Unsplash
Cristian Newman